Léger et lourd

Lao-tseu racontait une histoire pour illustrer la notion de non-agir sur la place du village. Il en vint au moment où il s'agissait d'expliquer que tous les êtres ont leur nature propre, et que la bonté et la vertu sont inférieures au Tao.

Il dit : "Il y a un homme, il ne comprend rien à rien, ses membres sont gourds, il est bossu, il est heureux."

Trois disciples entendirent cette phrase.

Le premier disciple Feng aimait prendre les choses en pitié, s'emplir de larmes et de bons sentiments, prenait plaisir à se nouer les tripes et déverser du réconfort. Il aimait se faire tout petit au coin des choses et répandre un doux parfum de bien-être avec les autres brebis du grand troupeau céleste. Des paroles du Maître, il déduisit que le Maître voulait dire qu'un homme aussi mal doté par la nature devait être pris en charge par la société. Il fonda une grande quantité d'hospices dans lesquels on forçait les bossus philosophes à aller. Ils n'étaient pas plus heureux, mais ceux qui les y mettaient y gagnaient de la bonne conscience.

Ce n'est pas le Tao.

Le deuxième disciple Ming comprit que le Maître voulait dire que ceux qui éprouvaient du bonheur de cette façon étaient méprisables. C'était un disciple qui aimait énoncer des jugements à valeur morale, pourchasser ceux qui fautaient, lutter contre les ennemis, il passait beaucoup de temps à sauver la planète de la folie et du vice des autres. Il forma une école de vertu où il enseignait qu'on devait être en bonne santé physique et mentale pour être digne d'un bonheur licite. Les bossus philosophes furent interdits de manifester leur joie stupide, on en élimina même quelques uns pour faire un exemple.

Ce n'est pas le Tao.

Le troisième disciple Yuan comprit que le Maître voulait dire qu'il fallait devenir comme ce bossu. Car ce disciple aimait fabriquer des systèmes, établir des principes d'action, faire agir la logique dans ses retranchements et avait une foi indécrottable dans les vertus du calcul. Il forma une école qui enseignait à sortir de sa nature pour adopter les traits physiques et moraux du bossu. A l'examen, on vérifiait si l'impétrant avait une bosse. Une quantité déraisonnable de fils de bonne famille abandonna ses talents naturels pour devenir des bossus philosophes d'un talent fort discutable.

Ce n'est pas le Tao.

Le Maître s'était contenté de voir le monde, sans le scruter, sans le juger, sans le qualifier, sans l'analyser. Il avait été léger.

Mais chacun des trois disciples avait introduit un jugement moral, une qualification, une caractérisation, une analyse. Il avait été lourd.

Comprenne qui pourra.

En fait, les neuf disciples de ces trois disciples furent hyper-lourdingues, et ainsi de suite, de pire en pire à chaque génération.

Maintenant beaucoup de gens enseignent. Et pour être lourds, on peut dire qu'ils sont bien lourds.

Mais ça va, on s'habitue.

C'est un principe que je met souvent en pratique dans la vie réelle (un peu moins sur le forum c'est vrai).
Je trouve ça remarquable.

Comprenne qui pourra.

... Il semblerait qu'il vaut mieux pas :...

"Il y a un homme, il ne comprend rien à rien, ses membres sont gourds, il est bossu, il est heureux."

Imala

et le dernier disciple dit:
tant mieux s'il est heureux, c'est le principal.
mais qui sait s'il n'aimerait pas ne plus être ignare?
ça ne l'empêcherait peut-être pas d'être heureux!
puis-je lui poser la question? avant de conclure que tout est bien dans le meilleur des mondes possibles?
"restons légers" est-ce passer sans le voir?

je sais, je ne suis pas taoïste et ne pourrai jamais l'être trop pétrie, sans doute de "bonne conscience" ou de préjugés qui me font penser qu'on n'est jamais trop heureux!

Elbi, qui considère qu'on peut être sérieux en parlant de n'importe quoi, et plaisanter sur des sujets sérieux, tant qu'on ne blesse personne
:crabe:

ElBilqîs a écrit:heureux, c'est le principal.
mais qui sait s'il n'aimerait pas ne plus être ignare?
ça ne l'empêcherait peut-être pas d'être heureux!

Toute la question est là.

S'il se posait la question, serait-il encore heureux?

S'interroger n'est pas un obstacle, si l'on parvient à répondre poétiquement.

Mais cela n'est pas donné à tout le monde.

Stirica a écrit:S'il se posait la question, serait-il encore heureux?

s'il ne comprend rien à rien, pourquoi se poserait-il ce genre de question?

Par désir mimétique ?

Lao-tseu racontait une histoire pour illustrer la notion de non-agir sur la place du village. Il en vint au moment où il s'agissait d'expliquer que tous les êtres ont leur nature propre, et que la bonté et la vertu sont inférieures au Tao.

Là on qu'il explique pour quoi le Tao est supérieur à la vertu.

Il dit : "Il y a un homme, il ne comprend rien à rien, ses membres sont gourds, il est bossu, il est heureux."

Phrase on ne peut plus descritive d'un individu qui est heureux comme il est.
S'il y a un enseignement dans cette phrase Lao-tseu aurait pu être plus clair. S'il était sage il aurait du savoir qu'il y avait là nature à interprètation non ?
Conclusion : la b^tise de ses disciples grandissait à l'ombre de ses enseignements.

La phrase est l'enseignement. Tout ajout aurait été vain verbiage.
Les disciples ne comprennent pas, car ils ne sont pas encore dans le non-agir, ils luttent encore contre le courant.

Cochonfucius a écrit:Par désir mimétique ?

S'il éprouvait cela, serait-il heureux?

Stirica a écrit:La phrase est l'enseignement. Tout ajout aurait été vain verbiage.
Les disciples ne comprennent pas, car ils ne sont pas encore dans le non-agir, ils luttent encore contre le courant.

Cela ausi c'est du verbiage.

manuramolo a écrit:
Phrase on ne peut plus descritive d'un individu qui est heureux comme il est.
S'il y a un enseignement dans cette phrase Lao-tseu aurait pu être plus clair. S'il était sage il aurait du savoir qu'il y avait là nature à interprètation non ?
Conclusion : la b^tise de ses disciples grandissait à l'ombre de ses enseignements.

Non, bien au contraire, car c'est la voie du Tao que Lao-Tseu enseigne et donc, il est nécessaire qu'il y ait nature à interprétation individuelle dans la phrase du sage.
Ne pas confondre avec un postulat philosophique occidental.

manuramolo a écrit:qu'il explique pour quoi le Tao est supérieur à la vertu.

La vertue est relative à chacun. Et ce n'est pas toute la nature de chacun.
Chacun sa nature, limite individuelle.
La Tao n'est pas définissable, chacun le "réalise" selon sa nature.

Le Tao est comme la gravitation.

En vertu d'elle, certains hommes sont lourds et d'autres sont légers, mais elle-même ne peut pas mettre ses pieds sur la balance, et nous dire si elle est lourde ou légère.