Delta Corvi

Toujours à l’horizon les issues incertaines
Du combat que le noir des cieux livre à l’aurore
L’hiver emplit mon cœur d’un nuage indolore
Tandis que les violons résonnent dans les plaines

Nous sommes loin du rêve et loin de la beauté
Nos corps pris dans les flux mouvants de la planète
Le rêve est l’étoile où la vieille entropie guette
Notre éveil un oiseau qui traverse l’été

Ton sourire est charmant car il reste timide
Je suis lassé des fleurs au printemps conquérantes
Le reflet de tes yeux aux couleurs chatoyantes
Fait la crue nécessaire à mon désert aride

Car dans les rues d’acier la ville est désertique
Les roses carmin sont l’illusion du décor
Quand l’esprit de métal envoûte l’athanor
L’alchimie perd son sens et son aura magique

Que reste-t-il alors à la délicatesse
Dans la logique armée par l’ordre et la finance ?
Quelle destination pour notre itinérance
Hormis celle de ton sourire et sa finesse ?

Chevalier sans lumière au spectacle du jour
Chevauchant le Nihil, dragon de notre époque,
L’idéal est un lac dont l’océan se moque
Que reste-t-il à l’âme à part le pur amour ?

Magnifique.

Splendide, mais un brin de désespérance, non ? Le pur amour, oui, mais il est une illusion de la jeunesse...Comme le meilleur vin, il finit toujours par avoir un goût de bouchon...L'amour, il faut le boire à grandes gorgées, puis changer de bouteille...

"Le pur amour", ce serait plutôt un sentiment que l'on porte en soi, une idée qui nous ouvre à la beauté du monde et qui nous permet de faire des rencontres qui, effectivement, peuvent être multiples ; cependant, je crois qu'il est possible de se sentir bien avec une personne à travers les années, et qu'il n'est pas obligatoire de se "jeter après consommation" comme il est d'usage pour à peu près tout dans la société d'aujourd'hui : n'est-ce pas une vision un peu cynique que celle de concevoir toutes les relations comme interchangeables ?

Il me semble en fait, pour finir avec ça, que c'est la phrase précédente qui peut le mieux expliciter ce terme de "pur amour" ; puisque "l'idéal est un lac dont l'océan se moque", il ne s'agit pas de se regarder les yeux dans les yeux pour la vie comme deux merlans frits mais d'une énergie qui vibre partout dans l'univers, au même titre que l'entropie qui est la force inverse, force qui concourt à la désunion et au refroidissement : cela fait référence à ce que Romain Rolland appelait "le sentiment océanique"...